Dans le box des accusés se trouvent Jovica Stanisic, ancien chef des services de sécurité de l'État serbe, connus sous le nom de DB, et Franko "Frenki" Simatovic, employé de la DB. Les deux hommes sont accusés d'avoir organisé, armé, entraîné et financé certaines des milices serbes les plus notoires opérant en Bosnie et en Croatie entre 1991 et 1995, notamment les groupes paramilitaires connus sous le nom de Scorpions et de Tigres.
La semaine dernière, au cours des plaidoiries de l'accusation, fréquemment interrompues par des séances à huis clos, il a parfois semblé que le principal accusé était Slobodan Milosevic - l'ancien président de Serbie, mort en détention au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) en 2006 - plutôt que Stanisic et Simatovic.
L'accent mis sur le rôle de Milosevic n'est pas la seule chose suscitant un sentiment de déjà vu chez ceux qui ont suivi l'affaire. L'ensemble du procès est une répétition. Stanisic et Simatovic ont été inculpés et arrêtés pour la première fois en 2003 et jugés devant le TPIY en 2009. En 2013, ils ont été acquittés. Les juges ont estimé que les crimes reprochés dans l'acte d'accusation avaient bien eu lieu. Cependant, ils ont déclaré que Stanisic et Simatovic ne pouvaient pas en être tenus légalement responsables, car rien ne prouvait que les ordres qu'ils avaient donnés étaient "spécifiquement destinés" à aider à la commission des crimes. En 2015, les juges de la chambre d’appel ont rejeté ce raisonnement. Mais au lieu de rendre leur propre jugement sur le fond, ils ont ordonné la tenue d'un nouveau procès, alors même que le TPIY fermait ses portes.
Le nouveau procès s'est ouvert devant l'institution qui a succédé au TPIY, le Mécanisme résiduel pour les tribunaux internationaux, appelé « le Mécanisme ». Et depuis presque quatre ans, il se déroule au gré de multiples interruptions. Stanisic et Simatovic en ont été largement absents, ayant bénéficié d'une libération provisoire et d'une dispense de présence pour l’essentiel de la procédure.
Juger Milosevic d'outre-tombe
La semaine dernière, le procureur Douglas Stringer a rappelé que, pendant les guerres de 1991 à 1995, quelque 340 000 non-Serbes avaient été expulsés de force des territoires revendiqués par les Serbes en Bosnie et en Croatie. L'accusation a fait valoir que cela résultait d’un plan commun au sein d’une entreprise criminelle conjointe menée par les responsables serbes de ces deux pays et le régime de Milosevic en Serbie, dont Stanisic et Simatovic en tant que hauts responsables de la sécurité d'État. "Un nettoyage ethnique de cette ampleur n'aurait pas pu avoir lieu sans le soutien et la direction du président serbe Slobodan Milosevic", déclare Stringer. Les différents petits États serbes autoproclamés n'auraient pas pu exister sans le soutien politique et matériel de Belgrade, et encore moins mener une campagne organisée de nettoyage ethnique à grande échelle, affirme-t-il. "Dans cette affaire, Milosevic a dirigé le spectacle du début à la fin", poursuit Stringer, et le ministère serbe de l'Intérieur, avec ses services de sécurité dirigés par Stanisic, était son "principal instrument" pour y parvenir. Le procureur requiert la peine maximale, la prison à vie pour les deux hommes.
"Pour l'accusation, il est très difficile d'expliquer ce que faisaient Jovica [Stanisic] et Frenki [Simatovic] s'ils ne décrivent pas le projet politique", explique Iva Vukusic, historienne de l'université d'Utrecht, spécialiste de l'implication des paramilitaires serbes dans les guerres de Yougoslavie. Or, à cette fin, le procureur a besoin de Milosevic car, dit-elle, ce projet politique de "tous les Serbes dans un seul État" a été constamment présenté au TPIY comme une sorte de projet coopératif avec Milosevic à sa tête. "Il était un président serbe, Stanisic et Simatovic étaient des fonctionnaires serbes, il serait vraiment bizarre de plaider cette affaire sans Milosevic", souligne-t-elle.
Milosevic est mort dans une cellule de l'Onu avant que les juges ne puissent statuer sur son rôle présumé dans la guerre de 1991-95 en Croatie, la guerre de 1992-95 en Bosnie et le conflit du Kosovo en 1998-99. Le général serbe Momcilo Peresic, chef d'état-major de l'armée yougoslave de 1993 à 1998, a été inculpé pour le soutien qu'il aurait apporté en faisant la navette entre l'armée yougoslave et les forces serbes de Bosnie et de Croatie, mais il a finalement été acquitté. L’homme politique d'opposition serbe Vojislav Seselj a été condamné pour avoir commis des crimes de guerre, mais uniquement contre des Croates en Serbie. L'affaire Stanisic et Simatovic est donc le dernier et seul procès où l'accusation peut encore espérer que d'anciens responsables de l'État serbe soient reconnus coupables de crimes de guerre en Bosnie et en Croatie et, par extension, de prouver juridiquement l'implication de la Serbie dans ces conflits.
Prouver l'entreprise criminelle commune
Ceux qui ont suivi le procès de près, comme Vukusic, soulignent combien il a été difficile de le suivre en raison des nombreuses séances à huis clos. "Ce procès est si obscur, dans le sens où beaucoup de choses sont cachées et confidentielles. Au bout du compte, il est difficile de dire comment l'affaire a été plaidée", dit-elle.
La défense de Stanisic, comme elle l'avait fait lors du procès précédent, s'est concentrée sur les failles dans la théorie de l'entreprise criminelle commune (JCE) de l'accusation. Elle soutient que cette théorie relève de la culpabilité par association, avec une accusation s’adonnant à de grandes généralisations en évitant d’entrer dans les détails de la conduite de Stanisic. Comme il y a dix ans, l'avocat de Stanisic, Wayne Jordash, souligne qu'il n'y a que peu ou pas de preuves que son client a même parlé ou rencontré directement l'un de ses conspirateurs présumés en Bosnie et en Croatie. "Une incompatibilité matérielle demeure entre les allégations de la JCE condamnant Stanisic comme l'un des principaux architectes et exécutants, et ses relations réelles avec les membres et les outils de cette JCE", déclare-t-il. Il demande que son client soit, une fois de plus, acquitté.
La défense de Simatovic rejette également le dossier de l'accusation comme étant basé sur "des preuves défectueuses et des témoins peu crédibles". Ses avocats veulent dépeindre Stanisic comme le décideur et leur client comme lui étant strictement subordonné et ne faisant qu'exécuter les ordres. Contrairement à Stanisic, Simatovic semble avoir été beaucoup plus présent sur les lignes de front où il était régulièrement vu avec des paramilitaires et d'autres membres présumés du plan commun. "Frenki [Simatovic] était davantage sur le terrain, les gens le voyaient, il était photographié en uniforme, il existe une unité appelée 'les hommes de Frenki', alors qu’il n'y a pas d'unité appelée 'les hommes de Jovica'", explique Vukusic.
Un impact attendu uniquement en Bosnie
Pour certains observateurs du tribunal, une condamnation finale établissant un lien entre les responsables serbes de Belgrade et les atrocités commises sur le terrain représenterait un verdict majeur. Mais ils estiment que l'impact dans la région sera probablement limité. En Serbie, cela fera les titres le jour de la condamnation et peut-être le lendemain, mais pas beaucoup plus, prévoit Vladimir Petrovic, directeur de recherches à l'Institut d'histoire contemporaine de Belgrade. "Cela reste vrai quel que soit le résultat : les accusés sont à moitié oubliés par la population bien que - ou peut-être parce que - leur héritage désastreux perdure", analyse-t-il.
Même en Croatie, où une grande partie des crimes reprochés aux deux accusés ont été commis, le verdict ne devrait pas non plus avoir d'impact, selon Vukisic. "Je ne pense pas que quiconque s'en soucie vraiment en Croatie. L'accusation a ouvert l'affaire avec le massacre de Škabrnja, un lieu de souffrance pour les Croates qui figure en bonne place dans le récit de la guerre en Croatie. Et même cela est apparemment passé inaperçu", dit-elle.
Denis Dzidic, directeur exécutif du Balkan Investigative Reporting Network et observateur de longue date du tribunal pour l’ex-Yougoslavie, s'attend toutefois à ce que le verdict soit beaucoup plus significatif en Bosnie. "On a oublié bien sûr, puisque le procès a été long, mais une fois que le verdict sera rendu, ce sera vraiment important", déclare-t-il à Justice Info. "La Bosnie est différente de la Serbie et de la Croatie. Je pense qu'elle vit avec la guerre et son héritage de manière beaucoup plus proche – elle y est un peu toujours suspendue", explique-t-il.
En décembre dernier, le président du Mécanisme, le juge Carmel Agius, a déclaré au Conseil de sécurité des Nations unies qu'il s'attendait à un jugement d'ici la fin du mois de mai, après l'audition du dernier témoin de la défense en octobre 2020. Le jugement est toujours attendu d'ici deux mois.